Le récit et le visage : Sabachtanie

La jeune femme qui avait assez attendu

Sabatchtanie a de l’humour et un sourire immense

Elle a aussi, désormais, une poitrine à sa vraie mesure de jeune femme mince et active.

« Je m’appelle Sabachtanie. J’ai mis du temps à dire mon prénom. Il vient de l’Araméen, il signifie l’abandon, son prénom est une référence à une phrase du Christ sur la croix ». Sabachtanie a 26 ans quand elle vient au cabinet de Muriel, en septembre 2021. C’est une jeune femme de son âge : « j’ai commencé par Doctolib, j’ai cherché sur Internet, j’ai lu des avis Google, mais il y en a peu sur le Dr Perrault. J’ai surtout visité le site. La spécialisation dans le cancer du sein m’a rassurée, suffisamment pour que je prenne rendez-vous ».

Épisode 1 : « attendez d’être mère »
Sa décision mûrit depuis 10 ans. Depuis cette discussion chez son médecin traitant, menée par sa maman puisqu’elle n’a que 16 ans quand elle entend le docte docteur dire que « c’est une mauvaise idée. Il vaut mieux attendre d’avoir des enfants. Là, tu verras, tu seras contente de ta poitrine ». Tant pis si les imbéciles boutonneux du collège l’appellent « gros seins », si elle complexe depuis la classe de 4e, si elle refuse de se mettre en maillot de bain depuis un épisode à Center Parks où tous les regards masculins se sont ligués pour embarrasser cette grande jeune fille élancée dont les seins dépassent à droite et à gauche. Tant pis si rien n’est fait pour le 85 F ou G, à part des soutifs trop grands dont les bretelles glissent en permanence des épaules.

Déçue mais pudique, Sabachtanie ne proteste pas. Elle tient 5 ans.

Rien n’est fait pour le 85 F ou G, à part des soutifs trop grands dont les bretelles glissent

Épisode 2 : j’attends surtout d’être en forme…


« Je faisais beaucoup de sport, de l’athlé. Tous les mois j’étais chez l’ostéo, j’avais des pincements, des tassements, de la tension dans les épaules ». Elle se rend alors chez un chirurgien de Rouen. Il n’est pas spécialiste des poitrines, mais il opère beaucoup de femmes noires et cela rassure Sabachtanie qui s’inquiète pour les cicatrices. Mais l’étudiante en psycho de 21 ans (« je ne me suis pas du tout auto-étudiée ! » sourit-elle) souffre alors d’anémie, « c’est ma santé, pas terrible, qui me retient. Le plus dingue c’est que j’avais beau avoir minci, ma poitrine n’avait rien perdu ! ». Elle bascule dans des études de cinéma et, en attendant d’être en meilleure forme, économise de quoi être opérée.

Il faut vraiment choisir la bonne période, celle où on peut souffler, s’occuper de soi

Épisode 3 : fini d’attendre !

Nous voilà à l’automne 2021. « Au premier rendez-vous, Dr Muriel m’explique les découpes et la technologie pour cicatriser. Elle me prend en photo. Elle me propose de ramener ma poitrine à un bonnet D et moi je voudrais qu’elle m’en enlève davantage. Quand elle objecte que ça m’exposerait à des difficultés psy, je la crois. Je me tais mais contrairement à 10 ans plus tôt, ce n’est pas par timidité. J’ai confiance, c’est son métier ». 

Il faut vraiment choisir la bonne période, celle où on peut souffler, s’occuper de soi
En septembre suivant, le rendez-vous suivant permet de valider l’envie, la hâte et l’accord de la jeune femme. Ce sera le 12 octobre. « Rétrospectivement, je suis heureuse d’avoir calé l’intervention ce jour-là, alors que j’avais fini une mission et que j’avais un peu de temps avant la suivante. Il faut vraiment choisir la bonne période, celle où on peut souffler, s’occuper de soi », conseille-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas de stresser un peu, de douter un brin, d’accepter le calmant que suggère l’anesthésiste « qui a chanté pour m’endormir ».

Épisode 4 : où sont passés mes seins ?

« Je me réveille mais je suis encore « dans le gaz » et je veux fuir car je ne trouve pas mes seins. J’interpelle un être en rose qui passe devant moi, qui m’apaise. Je me rendors ». Le vrai réveil comporte sa petite part d’anxiété. Là encore, Sabachtanie se demande ce qui est arrivé à son corps, regarde ces fils, ces chairs, ces œdèmes avec une curiosité inquiète : « j’avais l’impression de porter des boules de pétanque ». Quand il faut changer les pansements le 4e jour, elle sert les dents car « mon compagnon a peur de tourner de l’œil, alors je dois m’y coller. Surprise : ça va déjà beaucoup mieux, ça cicatrise, ça bosse bien ». Le 9e jour, retour chez Muriel, qui y va franco : « elle a arraché les bandes d’un coup, je n’aurais jamais osé, j’aurais eu peur que tout se décroche et tombe », raconte elle, hilare.

On peut et on doit faire gagner du bien-être et de la santé mentale aux femmes

Épisode 5 : vivement la vie 

« Le sac à dos est enlevé » résume Sabachtanie qui, allégée d’1kg et 300 g, n’a plus mal aux épaules. Les semaines qui suivent l’intervention, l’interdiction du sport et des charges lourdes tombe sous le sens : « certains gestes font mal, même des trucs anodins comme vider le lave-vaisselle. Les 4 premiers jours, j’étais heureuse que maman soit là et s’occupe de mes repas car mon homme était en déplacement ».

Un homme dont les circonstances révèlent une prévenance inquiète que Sabachtanie ne soupçonnait pas : « il m’envoyait des messages pendant l’opération, et tant que je suis convalescente, il a peur de me toucher dans son sommeil, il veut que je dorme calée et protégée dans mes oreillers… Je découvre tout ça chez lui ! ».

Au prochain été, pour la première fois depuis son adolescence, elle osera se baigner sans avoir l’impression d’être nue et exposée, « sans me jeter à l’eau pour me cacher ! Tout ça va changer ». Rien que de belles choses en perspectives.

Et un petit message pour le médecin traitant de son adolescence : « Il m’a fait perdre un précieux temps. Physiquement, moralement et même financièrement, si je pense aux fortunes inutilement dépensées en fringues et soutien-gorge, ça m’énerve ! Il faut changer cette mentalité. On peut et on doit faire gagner du bien-être et de la santé mentale aux femmes ».