Le récit et le visage : Pauline

Être qui je décide d’être

« Je suis allée chez Muriel car je n’aimais pas mes seins »

Pauline, 21 ans, parle cash. Pas de détours pour l’étudiante en Master d’affaires publiques à Sciences Po Paris, pas davantage besoin qu’on en prenne : « je ne les aimais pas, trop gros et surtout tombants. Je n’aimais pas l’aréole, rien ne m’allait. Et j’ai été heureuse que Muriel ne me dise pas un truc comme ‘moi je les trouve bien’, à mon premier rendez-vous ». Qui se tient un an-et-demi avant l’intervention : « le rendez-vous est un cadeau de mes parents pour Noël 2020. J’y pense depuis mes 16 ou 17 ans mais j’y vais juste pour rêver. Je sais que ce n’est pas le moment d’être opérée mais je kiffe, je me dis que je reviendrai dès que j’ai les thunes ! ».

« Une femme est tenue à l’excellence »

Ce n’est pas le premier rendez-vous de Pauline avec la chirurgie. Une rhino-septoplastie -en français la réparation d’une cloison nasale déformée- l’amène chez le Dr Eric Arnaud, qui partage les locaux de Muriel. Pauline, dont on entrevoit la franchise, lui montre ses seins ! Mais elle se dit déjà qu’elle préfère, le jour venu, les confier à un ou plutôt une spécialiste. « Je trouve ça rassurant. Un gynéco homme me rassure mais les seins c’est aussi une histoire de sensations qu’une femme comprendra. Et on m’a raconté l’histoire des chirurgiens hommes qui faisaient systématiquement des seins plus gros ». Avec Pauline on oscille en permanence entre dérision et réflexion. Comme celle qui consiste à considérer que « c’est un milieu où les femmes ont plus de mal à se faire respecter. Elles sont tenues à l’excellence. C’est le seul point positif de l’inégalité : une femme doit être meilleure pour arriver au même point ».

c’est un milieu où les femmes ont plus de mal à se faire respecter. Elles sont tenues à l’excellence

Le « vrai » rendez-vous est pris en juillet 2022. Pauline revient d’un semestre d’études aux Etats-Unis, et les 18 mois de réflexion ont permis de faire « tout le chemin dans ma tête.J’ai arrêté de fumer. J’ai perdu 4 kilos, pas uniquement dans la perspective de l’opération, mais l’ensemble, poids et seins, je suis contente ! Je me dis que j’aime mon corps ».Elle a trouvé comment financer ce qu’elle ne trouve « pas si cher pour l’investissement d’une vie. Même si je pense que Muriel m’a fait un prix étudiant… Je n’ai pas osé demander ».

Pour parfaire le travail et retrouver un mamelon trop abîmé par la radiothérapie, Christine est confiée à Laurence Mazard, qui va lui tatouer en 3D un mamelon et une aréole conformes à ceux du sein droit. « Ça dure trois heures, c’est minutieux et c’est beau. Laurence a eu un cancer, elle sait par quoi on passe. C’est même comme ça qu’elle a choisie de devenir tatoueuse. Tout ça c’est une chaîne de femmes », raconte Christine.

Christine, qui n’avait jamais souffert du dos, ne ressent pas vraiment un soulagement d’être ainsi allégée, plutôt l’immense plaisir esthétique de porter des « seins de jeune fille » et de promener une silhouette affinée. Le mieux ? « Le bonheur des seins libres ! Vivre sans soutien-gorge, c’est canon ! Ça change la vie ! ». Il reste quelques mois de coiffure avant sa retraite. Alors qu’elle avait volontiers évoqué son cancer avec des clients qui traversaient ou avaient traversé le même genre de tempêtes, elle ne parlera pas de son passage chez Muriel…

Décider seule et pour soi

So cool, Pauline ? Tu parles… Après avoir arpenté Internet, elle arrive au rendez-vous préopératoire avec « 1000 questions. Jusqu’à la température au bloc.

Muriel m’a répondu mais c’était la première fois qu’on lui demandait. Je l’ai bombardée de préoccupations d’intello. Elle a fini par gentiment me basher. Et l’anesthésiste, dès qu’il m’a vu, m’a donné un calmant ! ».

L’intervention consiste à réduire et remonter sa poitrine, un travail de forme et de volume qu’on appelle une correction de ptose mammaire. « En retirant les pansements, j’ai trouvé ça mieux que tous les avant-après de Google.

Elle qui détestait sa poitrine au point de garder un soutien-gorge avec son amoureux va se promener seins nus chez elle, pour pouvoir les croiser le plus souvent possible dans un miroir. « Même sans avoir eu droit aux réflexions de quiconque, même si aucun garçon n’a jamais eu de réaction désagréable, c’était un complexe énorme ».

Je me rends compte depuis l’opération qu’il y a une différence entre les défauts qu’on se trouve ici ou là et ceux qui vous affectent profondément.

Attention, pas de méprise, c’est d’abord pour elle que Pauline a fait ce chemin. « Être désirable n’est pas « mon drive ». Je veux être qui je décide d’être. Je me maquille très rarement pour la même raison. Je me rends compte depuis l’opération qu’il y a une différence entre les défauts qu’on se trouve ici ou là et ceux qui vous affectent profondément. J’avais des excroissances, maintenant j’ai des seins. Je suis très, très contente, j’ai davantage confiance en moi. Et, paradoxalement peut-être, je me moque un peu plus qu’avant du regard des autres ». A ceux qui ont pu lui conseiller d’aller plutôt consulter un psy, elle répond que « me dire ‘ils sont moches mais je les accepte’ n’a jamais été une option ». Prosélyte, Pauline ? Plutôt émancipatrice : « il faut te demander ce que tu veux vraiment, en étant prête à admettre que c’est un boost mais que ça ne règlera pas tous tes problèmes.Il faut surtout n’en avoir rien à faire de ceux qui te disent que ton nez tordu fait tout ton charme ».